Propos recueillis par Morgan Couturier et Marco Polisson
À quelques semaines de boucler son mandat, la maire de Megève dresse le bilan de son (mandat)action. Sans éluder la moindre question et avec son franc-parler caractéristique, Catherine Jullien-Brèches est revenue sur les attaques de son opposition avant de se projeter sur ses projets.
Vous voilà arrivée au terme de votre premier mandat de maire. Avez-vous pris goût au poste ?
Je pense que c’est une mission qui est aussi passionnante que compliquée. Lorsque l’on s’attèle à plein temps à son travail et aux exigences que requiert la fonction, la mission est accomplie.
Etes-vous plus épanouie qu’en 2014 ?
Oui ! Sans aucun doute ! Je suis assise plus confortablement dans le siège de maire. En 2014, il y avait beaucoup de stress, parce qu’il y avait quelque chose qui se présentait à moi qui n’était pas anodin : lorsque l’on est maire de Megève, il y a un poids très conséquent de responsabilités. Avec les années, je suis plus sûre et plus affirmée dans les décisions qui sont les miennes et les choix qui s’imposent à nous.
L’heure est au bilan avant de vous présenter à nouveau devant les électeurs. Quand nous sommes arrivés, il y avait de grands défis qui nous étaient imposés. : surendettement, masse salariale, emprunt toxique et des projets étaient déjà lancés, sans financement, je parle notamment du Palais pour lequel il manquait 20 millions d’euros. Je suis fière du travail qui a été accompli mais J’ai l’impression qu’il y a des choses qui ne sont pas encore achevées. C’est pour cela que je souhaite repartir, afin de concrétiser certains projets.
Selon notre sondage, « faire vivre le village toute l’année » est la priorité n°1 des Mégevans. Qu’avez-vous fait dans ce sens durant ces 6 ans ?
Nous avons voulu animer le centre du village. Nous avons instauré une charte des terrasses qui permet une installation de structures à l’année, à condition qu’elles restent ouvertes dix mois par an. Le but est d’apporter de l’animation et d’inciter les commerçants à rester ouverts toute l’année. Nous avons également beaucoup travaillé sur de nouveaux évènements aux bornes de saisons, d’animations et la commercialisation et le développement des séminaires avec l’arrivée des nouveaux espaces du Palais.
Les commerçants sont-ils sensibles à cette question ?
L’objectif est de convaincre nos commerces locaux de rester ouverts sur des plages plus importantes sur l’année.
Quel bilan tirez-vous de cette politique évènementielle ?
L’événementiel amène des personnes sur la station. C’est aussi un moyen de communication mais on ne peut être seul à tirer la charrue. Il faut que tout le monde joue le jeu. C’est un travail collectif qui pourra porter ses fruits dans le temps.
Votre adversaire Marc Béchet dit vouloir « retrouver l’âme du village ». Megève se serait-elle fourvoyée ces dernières années ?
Je n’ai pas le sentiment que Megève ait perdu son âme, bien au contraire (sourire). Il y a encore une population locale qui est là, dont je fais partie, et qui communique. On a encore nos espaces naturels, nos espaces agricoles, nos agriculteurs et des commerces locaux, des écoles… Megève n’a pas perdu son âme !
Mais elle perd quand même une centaine d’habitants chaque année…
Je me suis battue pendant ces six années. C’est vrai, les municipalités précédentes ont perdu du temps et qu’il y a eu un déficit en termes de création de logements. On est dessus, mais il y a toujours cette pression foncière qui est un frein à l’installation de jeunes habitants locaux.
Vos démarches auprès de l’Etat ont-elles porté leurs fruits ?
Je me suis rendue au ministère de l’Economie, à celui du logement, à l’Elysée, pour essayer de faire prendre conscience au Gouvernement que nos territoires de montagne ont des spécificités. J’ai été écoutée mais je n’ai pas le sentiment d’avoir été entendue.
On est surpris par le nombre de constructions en cours. À qui ces futurs logements sont-ils destinés ?
En 2014 tombe la loi ALUR sur la densification avec la création de logements permanents au détriment de la préservation des espaces naturels et agricoles. L’objectif de l’Etat en imposant cette densification était de créer des logements permanents. Mais ils sont majoritairement destinés à des résidences secondaires…
Votre opposition vous accuse d’avoir accepté le PLU sans broncher et ainsi d’avoir encouragé la spéculation…
Un PLU a été approuvé en décembre 2007. Il a été attaqué sur la forme et, non pas sur le fond, pour être annulé en juin 2010. La municipalité de l’époque n’a pas relancé la procédure d’un document qui n’était pas contesté sur le fond. Bien au contraire, elle a travaillé sur un nouveau projet en totale contradiction avec les demandes de l’Etat qui imposait la préservation des espaces naturels et agricoles alors que le projet de la collectivité proposait une ouverture à l’urbanisation de 50 ha sur ces espaces.
Quelles ont été les conséquences ?
Cette démarche a eu pour effet de remonter le Préfet et les services de l’Etat et, de ce fait, durcir leurs exigences en la matière. La loi ALUR du 24 mars 2014 met fin aux Plans d’occupation des Sols. Elle soumet les PLU à de nouvelles exigences : un contrôle renforcé des procédures d’ouverture à l’urbanisation et une protection des zones agricoles et naturelles renforcée. Nous sommes contraints dès le début de notre mandat, de réécrire un document d’urbanisme intégrant les nouvelles directives relatives aux objectifs de la densification.
En attendant, les immeubles poussent comme des champignons !
Le COS est abandonné au profit du CES (coefficient d’emprise au sol) avec de nouvelles règles concernant, entre autres, l’emprise au sol, la suppression des surfaces minimales, la hauteur des bâtiments augmentées ou bien encore l’implantation des constructions par rapport aux limites séparatives. L’écriture du règlement devient un exercice d’une grande complexité d’autant plus que le temps imparti est limité dans la mesure où le PLU doit être approuvé avant le 26 mars 2017.
Etes-vous à nouveau maître de votre urbanisme ?
Le PLU approuvé le 21 mars 2017 permet d’échapper au Règlement National d’Urbanisme. En d’autres termes aucune maitrise communale des permis délivrés par le Préfet, une règlementation très légère qui aurait conduit à un développement urbain inadapté à notre territoire. La révision en cours lancée en septembre 2018 va permettre de dicter les mesures nécessaires qui permettront d’enrayer les effets négatifs de la densification et contenir l’emprise des constructions pour le futur.
Quels en seront les effets concrets ?
J’ai demandé un rendez-vous avec les services de l’Etat pour leur demander si dans notre révision, on pouvait repartir sur une réduction des CES et des hauteurs. L’Etat a pris conscience que cette densification ne peut pas être imposée partout avec la même intensité.
Toujours selon Marc Béchet, deux mots résument votre mandat : « Béton », on vient d’en parler, mais aussi « Bison ». Avec l’accusation à votre encontre de ne pas vous être opposée à la décision préfectorale d’abattre les animaux.
Je me suis déjà expliquée sur le sujet en séance du Conseil Municipal. Les bisons s’étaient échappés à priori depuis 48 heures quand j’ai été prévenue le mercredi soir à 17 h. A ce moment, une battue est organisée pour le jeudi en essayant de rassembler un maximum de personnes. Je m’occupe d’appeler personnellement les chasseurs qui ne répondront pas à l’invitation sauf pour un. Les opérations débutent le jeudi matin avec un groupe de volontaires entre à 14 et 17 personnes.
Quels moyens engagez-vous pour les sauver ?
Entre temps, les services de l’Etat alertés organisent une réunion en mairie avec la directrice de cabinet du Préfet Aurélie Lebourgeois, le Colonel Marsol, Dominique Muffat-Méridol et sa fille, des élus et moi-même. Aux questions posées par la directrice de cabinet, Dominique répond qu’il ne connaît pas le nombre exact d’animaux échappés, qu’il ne sait pas par quel endroit ils sont partis, qu’il n’est pas certain de pouvoir les rabattre dans leur parc et que nous avons affaire à des animaux dangereux qui peuvent charger un individu.
Que s’est-il passé ensuite ?
La directrice de cabinet réplique en disant : « un propriétaire d’animaux est responsable de ses bêtes. Ce sont des animaux sauvages, il en va de la sécurité publique, je vais prendre un arrêté pour essayer de les capturer ou de les abattre ». Au regard de la complexité des opérations à gérer, la directrice de cabinet a dit qu’elle prenait la main. Elle a prévenu : « Madame le Maire, vous n’aurez plus rien à dire »
Vous n’aviez alors plus la main !
D’autant plus que lors d’un problème de sécurité publique sur deux communes (Megève Saint Gervais, ndlr) c’est le Préfet qui prend la main. Comme Dominique, j’ai dénoncé et condamné la diffusion et l’application de l’arrêté (de capture ou d’abattage) du Préfet de la Haute Savoie. Tous les deux, nous étions convaincus que l’opération du vendredi était destinée à tenter, dans un premier temps, à rabattre les animaux dans leur parc. Force est de constater que les choses se sont passées différemment.
Vous donnez le sentiment d’avoir été mise devant le fait accompli…
Alors que, pour être exécutoire, cet arrêté aurait dû être affiché en Mairie, notifié à Dominique Muffat Méridol, à la Mairie de Megeve et à la Gendarmerie, ce dernier a été diffusé alors que les opérations d’abattage avaient commencé sans tentative de rabattage préalable, tel que prévu dans l’arrêté. N’ayant pas la main, je n’ai pu que déplorer cette situation après les faits.
Pourquoi ne pas avoir organisé une grande battue avec tous les habitants ?
Dominique Muffat-Méridol n’a jamais mis la pression auprès des services de l’Etat avec la demande d’une battue. Il n’a jamais dit : « Je me fais fort de les rabattre dans leur parc si vous me trouvez une trentaine de personnes ». Il a toujours communiqué sur des animaux dangereux.
Sur la liste de Marc Béchet, on trouve des personnalités reconnues comme Adrien Duvillard, Cyprien Durand ou Jean-Claude Million… Pourquoi ne sont-elles pas chez vous ?
J’ai fait le choix d’une équipe avec laquelle je compte repartir. J’en ai parlé à Adrien Duvillard en 2014. Mais aujourd’hui, je ne vais pas aller le chercher alors qu’il me critique sur l’affaire des bisons.
Et Cyprien Durand ?
Je ne suis pas allé le chercher, tout simplement parce qu’il occupe les locaux de la commune en tant que directeur de l’ESF, et qu’à un moment il ne faut pas qu’il soit mis en conflit d’intérêts ou prise illégale d’intérêts. Il y a des choses qui se faisaient autrefois, et qui ne peuvent plus se faire aujourd’hui.
« Mon objectif est de continuer à maintenir cet équilibre entre une vie à l’année et ce tourisme qui fait vivre une partie de la population »
Avec son nouveau Casino, le développement du Palais et la réouverture du Panoramic, Megève fait en sorte d’être de plus en plus attractive. Où doit se situer le curseur entre tourisme et vie locale ?
Tout le compromis est là ! Mon objectif est de maintenir cet équilibre entre une vie à l’année et ce tourisme qui fait vivre une partie de la population.
La seconde préoccupation des Mégevans reste « la gestion des finances et la dette de la ville. Etes-vous sortie de la zone rouge ?
Oui, définitivement depuis août 2018 avec l’annonce faite par le Préfet de la Haute Savoie de la sortie de Megeve du réseau d’alerte endettement. Pour rappel, lorsque nous sommes arrivés en 2014, des travaux avaient été lancés au Palais à la dernière minute, pour un budget annoncé à la population de 29 millions d’euros. Mais quand on parlait de 29 millions d’euros, il fallait rajouter la TVA et la maitrise d’œuvre et donc multiplier ce prix par 1,6 ! À l’arrivée, c’étaient 43 millions d’euros ! Il faut bien que la population le sache.
Pourquoi avoir décidé de poursuivre les travaux ?
Si on arrêtait, dans la mesure où des marchés avaient déjà été lancés, il fallait que l’on paye des pénalités aux entreprises d’un montant de 7 millions d’euros pour avoir rien du tout. Nous avons donc continué ! Malheureusement un seul emprunt de 9 millions d’euros avait été contracté en 2013 pour payer 43 millions de travaux…
Comment avez-vous fait face ?
Lors de la renégociation de l’emprunt toxique DEXIA, nous avons fait le choix du refinancement plutôt que d’étaler encore la dette. Pour ce faire, nous avons contracté un nouvel un emprunt à taux fixe de 20 millions d’euros pour payer les travaux engagés et nous avons annulé toutes les tranches conditionnelles. La facture du Palais, pour les travaux qui ont réellement été exécutés, se monte aujourd’hui à 32 millions d’euros au lieu des 43 M€.
Le déficit d’exploitation du Palais s’élève-t-il toujours à 6 millions d’euros par an ?
Jusqu’à notre arrivée en 2014, on nous disait que le Palais coûtait deux millions, mais on n’y intégrait même pas les charges salariales, les emprunts et la refacturation des interventions effectuées par les autres services, charges qui étaient noyées dans le budget principal. Quand vous avez intégré toutes les dépenses, effectivement on est à 5,5 millions d’euros sur le budget 2019 pour 2,5 M€ de recettes. Une fermeture durant les intersaisons diminuerait ce déficit, mais c’est un choix assumé pour que notre population et le monde associatif puisse profiter des espaces que de l’ouvrir à l’année.
Comment réduire cette somme ?
L’objectif est de chercher des réductions de charges en engageant des travaux au niveau de l’environnement, de la récupération de production d’énergies et en augmentant sa fréquentation entres autre avec le tourisme d’affaires et séminaires.
Le logement est également un sujet de préoccupation. Combien d’appartements destinés aux Mègevans avez-vous construit ou réhabilité durant votre mandat ?
Au cours de notre mandat, 60 logements en accès à la propriété ou locatifs ont été créés ou en cours. Il y a un projet qui est en cours de livraison à Cassioz mais je n’en parle pas, puisqu’il a été lancé par l’ancienne municipalité.
Au rayon des mauvaises nouvelles, les Mègevans ont appris avec stupeur que le pub Les 5 Rues allait baisser le rideau…
Tout d’abord, je précise que l’établissement est fermé seulement cet hiver. C’est un dossier compliqué, entre un propriétaire et son locataire, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? L’autre jour, on m’appelle et on me dit, il faut préempter. Mais je ne peux pas préempter quelque chose qui ne se vend pas ! Tout ça, c’est du domaine privé et pour lequel, je ne peux pas intervenir !
Après La Calèche, c’est le 2ème établissement phare qui disparait…
Cet établissement ne disparaît pas. Effectivement, il y a des fonds de commerce qui se vendent, mais aujourd’hui, préempter des fonds de commerce à des prix exorbitants, mon budget ne me le permet pas !
Puisque vous partez pour un deuxième mandat, on va se projeter dans l’avenir. Quelle en sera la thématique principale ?
Je pense qu’aujourd’hui, nous avons construit un socle économique durable. Le second mandat va surtout être consacré au développement des services et aux habitants de Megève. Si nous sommes réélus, nous terminerons également les travaux du Palais en sachant que tout est autofinancé ! Il n’y aura pas de nouvel emprunt à contracter.
D’autres projets ?
Nous avons beaucoup de projets concrets : le centre technique à rénover, le centre de secours à refaire, une halle alimentaire, le développement d’un service de transport gratuit au gaz et continuer d’améliorer et d’embellir la vie locale, tout en créant du logement permanent !
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