Par Nadine Fageol
A deux pas de Megève, dans le show-room de sa ferme rénovée du Flumet, Armel Soyer insuffle un bol d’air dans l’art de vivre à la montagne. Transhumance dans le land art.
Des racines de conifères judicieusement assemblées en un cône de quatre mètres de haut, métaphore célébrant la partie invisible de l’arbre, le Roots Cone de l’artiste italien Marco Nones est actuellement présenté dans les Jardins d’Hélène au cœur de Megève. L’une des toutes premières manifestations hors les murs de la galeriste Armel Soyer qui a transformé l’étage de son chalet du Flumet en show-room hors du commun, peuplé de pièces uniques ou éditées en petites séries par ses soins. On doit la découverte de cette fille de l’art à la décoratrice lyonnaise Claude Cartier qui, dans le cadre d’Inside (mises en scènes semestrielles lançant des jalons entre art et design), lui offre une carte blanche.
Dans sa sélection, ce que l’on pense être une photographie de forêt enneigée, pour découvrir à l’approche une ébouriffante tapisserie de laine, somptueuse par le format, le traitement multipliant la palette des fils blancs, gris à noirs. Tempête de neige en direct si on osait brancher un ventilateur ! Au chalet, l’entretien est entrecoupé par l’arrivée d’un jeune maréchal ferrant venu saboter de neuf les deux chevaux avant l’hivernage plus bas dans la vallée. Où l’on découvre Armel cavalière, fille d’éleveur vivant auparavant entre Paris et Normandie. Directrice de la communication chez Lalique pendant dix ans, à la naissance de son premier enfant, elle s’offre une respiration de six mois pour changer de braquet.
Son intérêt pour le mobilier la conduit à passer une année à Drouot à la maîtrise du marché de l’art. « Il fallait que je fasse dans la création tout en apportant du neuf». La lente fusion de ses amours et envies se traduit par l’ouverture d’une galerie dans le Marais à Paris. Au gré de l’alchimie qui va naître au fur et à mesure des rencontres avec les artistes et designers, elle va créer un univers iconoclaste aux antipodes de la vague du tout design commercial. Sa préférence va aux matières nobles, du bois jusqu’à l’écorce au verre de la roche, interprétés de manière monumentale ! « J’ai des monceaux de sciure dont je ne sais que faire », cet été, elle a accueilli Denis Milovanov en résidence au chalet. Sans tenon ni mortaise et pas moins de vis, l’aimable « bucheron » russe ciselle à la tronçonneuse tables et chaises longues dans l’épaisseur de futs de chêne entiers. Travail puissant pour œuvres spectaculaires.
Et quand la pierre de roche se fige dans le temps des siècles en flocons luminescents, dans la même veine, elle montre les rarissimes luminaires de l’australien Christopher Boots à partir d’aiguilles de cristal de roche dénichées au fin fond de l’Amérique Latine ! Armel s’est confiée pour mission de défricher, accompagner et faire connaître ces nouveaux artistes-artisans renouvelant le matériau. Et voilà les enfilades ou bahuts vintage habillés par Sophie Gaillardo d’une stupéfiante marqueterie d’écorces de boulot dont on n’ose compter les heures de travail. Sans révéler secret, c’est un concours de circonstances vitales qui a propulsé Armel en Savoie où elle est tellement à sa place qu’elle insuffle puissante ode au land art, de cet art puisé dans la réinterprétation de la nature. Bluffant.