Avec Ludwig, Elia s’en donne à cœur joie – Photos © MP et DR
Par Marc Polisson
Impossible de les manquer à Megève, comme dans toutes les stations de ski cet hiver. Au sommet des pistes, dans la rue Charles Feige et dans tous les bons restaurants dès la nuit tombée, ils déballent leurs bobines joviales et bronzées.
Appareils photo et sourire en bandoulière, ils ou elles ont l’art et la manière pour vous faire poser. Si de jolis bambins vous accompagnent, c’est encore plus facile. L’approche est directe mais sans véritable forcing. Les photographes-filmeurs savent pertinemment qu’un « non » aujourd’hui cache peut-être le « oui » du lendemain. Comme dans tout commerce, il convient de ne pas insulter l’avenir. Le nom de leur métier est tiré de l’époque argentique quand les photographes utilisaient une quantité impressionnante de films. Avec l’ère du numérique, le métier a pris un gros coup derrière les oreilles, mais est en train de renaitre. Preuve en est, sur internet, les annonces de recrutement de photographes-filmeurs pullulent. Celle de PixFirst est alléchante : 78% du chiffre d’affaires hors taxe atterrit dans la poche du photographe. Les seules compétences requises se résument à un bon relationnel, à faire preuve de bonne humeur et « être capable de faire des photos ». ll faut quand même posséder son boitier, et être enregistré comme auto-entrepreneur ou autre. La clientèle étant souvent internationale, « la pratique des langues étrangères et surtout l’anglais sont un bon plus » précise le site Istany partners. Un métier vieux comme le monde que Mario Gurrieri a pratiqué au début de sa carrière quand il hélait les passants rue de la République pour leur tirer le portrait. Les premiers pas du photo-stop. Aujourd’hui, les photographes filmeurs ont délaissé le macadam des grandes agglomérations pour faire leur beurre en montagne ou en bord de mer. En mélangeant allègrement filmage (autorisé) et paparazzi (volé). Il y a quelques années, l’ami Kader opérait ainsi sur la plage de Pampelone sous couvert d’un stand de location de scooters des mers. Ce qui lui valut de shooter Pamela Anderson (cliché vendu 15 000 euros) et Jerry Halliwel (3000 livres). Des photos qui ont fait le tour du globe.
A Megève, ils sont une petite trentaine en saison à pratiquer le métier. Un trop plein pour de nombreux megevans, mais un faux débat selon Anton Jimenez (Agence Imagine) : « Sommes-nous trop nombreux par rapport aux moniteurs de ski ? » Echaudée, la municipalité a pris, le 8 mars 2005, un arrêté interdisant aux filmeurs de travailler dans la zone piétonne. Il faut dire que la place du village, sous les fenêtres de la mairie et de la boutique Allard, était devenue une vraie foire d’empoigne. Sept agences se partagent aujourd’hui le gâteau (elles étaient 5 en 2004), et pas question d’aller picorer dans l’assiette du voisin. A chacun son spot, ce qui régule une concurrence souvent exacerbée. Pour ne pas importuner leurs clients, de nombreux restaurants ont passé des accords avec elles. Ainsi, à l’Alpette, Royal Pictures et Pierre Photo fonctionnent en alternance. Sur la terrasse de Super Megève, c’est Imagine qui croque. L’agence Pierre, spécialisée dans la nuit, a signé des exclusivités avec les patrons des principaux lieux de fête (Chez Nano, Les Jumeaux…). Oscar Photo s’est donc replié chez Stefano for ever. Les autres ne sortent leur matos que la journée. C’est le patron qui choisit et dispatche les territoires de ses photographes.
Ils sont ainsi 6 à travailler chez Pierre Photo « LA » référence des agences à Megève comme à Saint-Tropez. Fondée il y a cinquante ans par Pierre Boullet (décédé en juin 2010 et enterré face à la mer au cimetière marin de Saint-Tropez), l’agence Pierre Photo sons and daughters est toujours dirigée par son épouse Pierrie (photo ci-dessus). Autour d’elle, ses fils Ralph – marié à Coralie, Chris et ses filles Cloé et Elsa. Auxquelles s’ajoutent trois photographes salariés. Une machine bien huilée qui dispose deux boutiques à Megève. Leur concurrent Anton Jimenez (photo ci-dessous) a suivi une formation de photographe-filmeur chez DPF à Saint Jean de Maurienne. Installé depuis 2004 à Megève, le patron de l’agence Imagine (ex Altitude Photo) emploie cette année 2 photographes et est lui-même sur le terrain, appareil photo au poing. « On est là pour promouvoir l’image de Megève et la culture de la famille » assure le beau gosse qui depuis 10 ans a fidélisé de nombreux clans megevans : « J’ai vu leurs enfants grandir. Les gens sont revenus au tirage papier après avoir cédé aux sirènes du numérique. » Parmi ses photographes, Elia, 22 ans et une jolie frimousse. C’est son second hiver à Megève, l’été elle opère à Cannes (pendant le festival) et à la Croix-Valmer. C’est sa copine Laetitia qui l’a introduite dans le métier. Elle a la franchise de reconnaître qu’elle ne possède pas de « bagages » en matière de photographie (elle a travaillé 4 ans dans la maçonnerie avec son papa) mais son sourire et son doigté valent mieux que tous les diplômes. Son sens du contact et son approche tout en finesse font la différence. « Il faut savoir créer l’ambiance et la bulle qui va autour » assure-telle, regrettant qu’il y ait « beaucoup d’abattage dans ce métier ». « Chaque semaine est différente, tout dépend des nationalités et des origines des skieurs ; On apprend beaucoup sur la nature humaine… » philosophe-t-elle, en observant les skieurs à la dérobée. Arrivée pour Noël, elle est repartie fin mars pour la Riviera. Avec un joli pactole en poche ? « Vous n’en saurez rien ! » s’esclaffe-elle en prenant congé.
Entre 2000 et 3000 euros de salaire
Sa mentor et amie, Laetitia Guicherd fêtait cet hiver sa 10ème saison de photographe-filmeur. Elle a fait le tour des plages du Pays Basque (Biscaroose, Seignosse) et n’opère désormais plus que l’hiver à Megève « pour compléter (mes) revenus ». Installée à Crémieu et sous statut d’auto-entrepreneur, elle retrouve son quotidien de photographe professionnelle indépendante à Pâques. Là encore, impossible d’en savoir plus sur sa cagnotte hivernale. Argent, sujet tabou chez les filmeurs ? Pas pour Patrick Martin ! A 59 ans, ce solide gaillard aux traits burinés affiche 40 années de métier au compteur… C’est à 19 ans qu’il shoote ses premiers clients sur les pistes de la Grave. Depuis 1999, il prend ses quartiers chaque hiver à Megève (et l’été à Bandol). A l’heure du numérique, le système perdure contre toute attente. « Les gens font leur photo eux-mêmes mais il y a toujours un intérêt pour un résultat professionnel ». Aucune lassitude apparente chez Patrick qui stationne chaque jour à l’arrivée de la télécabine de Rochebrune ou à la Caboche. « C’est un métier de plein air et de contact. On n’est pas dans un bureau ou à l’usine ! » Côté rémunération, il touche un fixe de 1000 euros par mois auxquels s’ajoutent ses commissions (30%) sur chaque photo vendue 24 euros par son agence. En moyenne, ses fiches de paie dépassent les 2000 euros par mois. Avec sa logue tignasse argentée et son stetson, son copain Bruno Le Crétois ne passe pas inaperçu. Le renard des neiges (25 ans de métier) s’envole chaque hiver depuis Rethymno en Crête pour gagner les cimes de Rochebrune où il stationne les jours pairs (les jours impairs, il a son rond de serviette à l’Alpette). L’apparition du numérique n’a pas modifié ses habitudes, ni son train de vie (qu’il assure bien gagner). « C’est par la qualité qu’on se différencie ! » Reconnaissable entre tous, l’homme au chapeau retrouve chaque année ses clients qu’il fidélise de saison en saison. Début avril, il regagne son île et range son appareil photo. C’est à l’accueil d’un hôtel qu’il consacre ses mois d’été. Comme tous ses confrères, il reprendra la route des cimes dès les premières chutes de neige.