Photos © Fabien Salomon
Propos exclusifs recueillis par Marc Polisson et Benjamin Lacroix
Maire de Megève depuis 2008, Sylvaine Grosset-Janin a reçu notre équipe pour une interview à bâtons rompus. Face à nos questions parfois piquantes, cette femme de caractère qui vise un second mandat a évité la faute de carre.
Six ans après votre élection à la tête de la commune, quel est votre sentiment général ?
La responsabilité de maire est unique. J’ai pourtant été adjointe par le passé, mais le mandat de maire est différent. Il engage plus qu’aucun autre. Nous étions arrivés à une période charnière avec des réorganisations à effectuer. Nous avons changé de siècle, il fallait changer de façon de travailler. Nous avons donc traité les chantiers prioritaires, notamment celui du budget de la commune, sur les trois premières années du mandat.
A ce sujet, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, la dette mégevane s’élevait à 7162 euros par habitant en 2012, contre 1322 euros dans les communes de même taille…
En six ans, nous avons investi 60 millions d’euros tout en nous désendettant. Au 31 décembre 2007, nous étions à 37,4 millions d’endettement. Au 31 décembre 2013, nous sommes à 29 millions d’euros (hors encours de la dette – NDLR). Nous avons retrouvé une capacité à investir et à rembourser à travers la restructuration de certains équipements publics.
Comme les parkings du Mont d’Arbois et de Rochebrune qui ont quitté le giron de la SEM des remontées-mécaniques en 2012 ?
La SEM, son boulot, ce n’est pas de garer les voitures, c’est de faire circuler des gens sur des câbles. L’exploitation de ces deux parkings que vous me citez, ainsi que le stationnement aérien, a été transféré à la Régie Municipale Megève Parking le 29 octobre 2012. Ce n’était pas prévu mais nous l’avons fait pour donner des marges de manœuvre plus larges à la SEM des remontées mécaniques.
Et aussi pour mettre en place dans la foulée du stationnement payant partout à Megève ?
Comme vous le savez, une politique d’investissement doit être couverte par des recettes. Notre premier souci a été, dans le cadre de ce passage au stationnement payant, de répondre à la problématique des travailleurs mégevans. Nous avons mis en place dans nos parkings des abonnements à l’année ou à la saison. C’est un changement d’habitude qui doit se généraliser. Par contre, ce qui ne me plait pas du tout, c’est que le stationnement aérien soit payant à l’intersaison. Nous rétablirons donc le stationnement aérien gratuit pendant les intersaisons.
Hausse des taux d’imposition, parkings payants, êtes-vous encore en phase avec les attentes des Mégevans ?
Nous avons peut-être pêché par manque d’information sur la situation de la commune. Les Mégevans ont plus de mal à s’adapter aux contraintes budgétaires. Mais nous avons changé de siècle et d’époque. On ne vit pas sur de l’acquis, il faut construire notre futur et relever nos manches. Même dans le plus célèbre des villages gaulois, le banquet n’intervient qu’à la fin de l’histoire. Et notre potion magique, c’est l’amour que nous portons tous à Megève.
Le projet de réhabilitation du Palais des Sports (golf indoor, sports aquatiques…) fait également beaucoup jaser. Pharaonique pour certains avec son coût initial de 28 millions d’euros, nécessaire pour d’autres, où situer le curseur ?
Nous regardons ce qui se fait autour de nous, notamment dans les autres stations. Nos collègues ont bien pris la mesure de l’offre complémentaire au ski. Cette offre complémentaire existait déjà dans le village, comme les traineaux par exemple. Dans les années 70, quand le Palais des Sports s’est mis en place, cela a marqué le vrai renouveau de la saison d‘été à Megève. Personne n’y croyait. Nous sommes persuadés qu’il faut renforcer cette offre très large.
L’offre de Spa proposée dans ce cadre ne doublonne-t-elle pas avec les équipements privés, notamment ceux proposés dans les hôtels de la ville ?
Nous nous sommes posé la question assez longuement. Ce spa s’appelle le Spa des sports. Nous ne sommes pas dans le type d’offre très ciblée que vous pouvez trouver dans certains hôtels. Nous sommes dans une offre plus large qui peut convenir au plus grand nombre. Lorsque nous avions mis en place une offre estivale avec le Palais des Sports il y a quelques années, le propriétaire d’un chalet mégevan est venu me voir. « Mes enfants ne veulent plus rester au chalet, ils préfèrent aller voir leurs copains et les naïades au Palais des Sports » , m’a-t-il dit. Megève a deux cœurs : la place du village et le Palais des Sports. La commune ne se veut pas concurrente, mais elle a la nécessité d’avoir des investissements dits productifs.
L’alpage de Chaven, patrimoine municipal de la Ville, est au coeur d’un projet d’échange contre des parcelles constructibles près du Palais des Sports. Cela a provoqué une véritable levée de bouclier dans le village…
Ces trois parcelles de 1000 m2 chacune appartiennent à des agriculteurs. Ce sont d’excellents professionnels qui ne veulent pas vendre leur terrain. Mais ils sont à la recherche d’un alpage. Ils viennent me voir en me disant qu’ils sont prêts à échanger leurs parcelles contre un alpage. Nous avons fait venir Les Domaines pour étudier le projet. Ils estiment les parcelles à 1 200 €/m2, soit 3,6 millions d’euros pour les trois parcelles. Parallèlement, l’alpage est estimé à 900 000 €. On évoque donc cette perspective au conseil municipal. On ressent alors une crispation et le projet d’échange est abandonné au profit d’un échange de locations. La mairie louerait les parcelles près du palais des Sports et les agriculteurs l’alpage de Chaven. Mais le fait que l’on n’ait pas mis en concurrence sur la location du terrain a irrité. L’opération est aujourd’hui arrêtée. Si le pays n’en veut pas, nous ne la ferons pas. C’était pourtant une très bonne opération.
Restons sur les cimes pour évoquer le domaine skiable et la vétusté de certains équipements…
Sur cette question, nous sommes opérationnels. Les dossiers sont prêts. Nous avons déjà anticipé sur des prêts obligataires pour les mener à bien. Mais il fallait avant toute chose assainir la situation. Quand vous avez plusieurs années de déficits cumulés, ça fait très mal. Il a fallu faire des choix sur ce mandat. Celui que j’ai fait, c’est d’assurer la neige au Mont d’Arbois autour d’une retenue collinaire de 80 000 m3 au Mont d’Arbois et de la mise en place d’un process neige.
Vous aviez pourtant pris comme engagement en 2008 de vous pencher sur la question des Lanchettes…
Il y a un point de blocage sur les Lanchettes. Nous avons fait une étude autour de six possibilités de réaménagement. De toute évidence, la solution la plus intelligente n’est pas de refaire un télésiège débrayable qui n’apporte rien de plus. Mais nous avons déjà commencé à réfléchir plus largement. Comment pourrions-nous, par exemple, restructurer Rochebrune ? Il y a peut-être d’autres éléments à optimiser, certains à retirer. Nous avons fait un travail quasiment abouti, avec une recherche d’un point de fixation encore plus haut que la Côte 2000 qui nous permettrait d’accueillir des compétitions européennes masculines de ski. On ne va pas mettre des dizaines de millions d’euros si c’est pour réaliser un équipement qui n’apportera pas de valeur ajoutée à Megève.
Où en est-on de la liaison avec Praz-sur-Arly et les Contamines ?
Cela peut se faire en deux ans. Au niveau technique, nous sommes prêts. Mais il reste des questions en suspens. Comment éviter une hémorragie de clientèle sur notre station ? Comment harmoniser le coût du forfait pour trouver le point d’équilibre ? D’autant qu’au niveau environnemental, il semble que notre couple d’aigles royal qui nichait hier aux Contamines s’est établi aujourd’hui dans le secteur de Praz (ironique). Vous l’aurez compris, le plus difficile dans ce projet sera d’obtenir les autorisations administratives.
D’autant que l’Etat a retoqué tout récemment une partie du PLU de Megève…
C’est incompréhensible. Nous en sommes au 3e stade de la décentralisation et nous sommes pourtant retoqués pour certaines zones que nous souhaitions reclasser pour faire de l’aménagement. C’est vrai du côté du Palais des Sports. Mais également au Mont d’Arbois. Quand on nous explique que notre terrain de football en synthétique doit rester classé en espace naturel, c’est à n’y rien comprendre. Cela bloque un projet de résidence pour accueillir les travailleurs saisonniers. Plateau du Mont d’Arbois, nous avons les terrains, l’accord des propriétaires ! Mais ce sont les administrations qui bloquent.
Vos détracteurs assurent que le cœur du village perd ses commerces un à un. Que leur répondez-vous ?
En 2008, nous étions au point bas au niveau de l’hôtellerie. Nous avons délivré trois permis pour des hôtels. Nous étions également au point bas au niveau des commerces de proximité. Nous avons renforcé notre vigilance sur les fonds de commerce menacés de disparition. Nous avons à chaque fois essayé d’être actifs lors des mises en vente. Nous avons convaincu les propriétaires de La Rivolette de ne vendre qu’à des boulangers-pâtissiers. Nous avons des bouchers qui se sont installés, deux épiceries fines. Quand j’entends qu’il y a moins de commerces alimentaires, c’est faux. Le commerce a changé, il n’a pas disparu.
Le bar La Calèche, un monument de Megève, est menacé de disparition. Existe-t-il des solutions ?
La vente de La Calèche serait extrêmement regrettable. Mais au plan réglementaire, les choses sont claires. Le fonds de commerce et les murs n’appartiennent pas aux exploitants. Nous pourrions réfléchir à préempter, si nous sommes dans une configuration qui l’autorise. Mais le contribuable mégevan sera-t-il d’accord que la municipalité mette 3,5 millions d’euros au dépend d’un équipement public ? Aujourd’hui, à ce prix, la commune ne peut pas décemment acheter. C’est une estimation de base trop élevée.
Quelle somme pourrait mettre la commune pour racheter La Calèche ?
Je ne vous le dirai pas car nous ne serons pas complices d’un prix de vente surévalué. Mais nous attendons et la commune restera vigilante.
Megève a-t-elle vocation à devenir un bailleur commercial pour maintenir son offre de commerces de proximité ?
Non, mais la commune est déjà propriétaire d’un certain nombre de lieux (les restaurants du Puck, de l’Altiport, du Calvaire, du Palais des Sports) via des délégations de service public. Il y a d’autres bâtiment que d’aucuns regardent avec beaucoup d’attention, comme la ferme de Saint-Amour. Nous pouvons imaginer que dans cette ferme communale nous puissions transférer le musée pour y installer en lieu et place un commerce festif.
A ce sujet, ceux qui ont connu entre autres le Pallas, les Caves de l’Esquinade, ce Megève festif qui a perduré jusqu’au début des années 2000, trouvent que le village n’a plus aujourd’hui cette offre de vie nocturne qui faisait aussi sa réputation…
J’ai toujours été aux côtés des exploitants. Nous avons obtenu avec les professionnels la levée de la limitation horaire des lieux festifs contre une charte de bonne conduite de la vie nocturne. Nous rencontrons régulièrement des investisseurs qui ont un projet de « divertissement nocturne. » Nous espérons aboutir dans le mandat suivant. Ce sont des investisseurs français.
Quand on voit les programmes immobiliers qui enchâssent les 5 Rues, on craint aussi pour ce lieu mythique du village…
Pour les 5 Rues, c’est différent. Je ne crois pas que les propriétaires soient dans la même démarche que ceux de la Calèche. Seulement, il faudrait amener un peu plus de vie aux heures creuses de ce lieu. (Elle s’adresse directement à nous) Un salon de thé, ça vous plairait ?
Est-ce finalement le syndrome Saint-Tropez qui touche aujourd’hui Megève ?
Je vous l’accorde. Mais je ne suis pas aussi pessimiste que vous. Voyez, certaines banques ont disparu au profit d’épiceries fines ou de commerces de décoration. C’est peut-être tout simplement la vie normale de ce village.
Comment voyez-vous Megève dans 30 ans ?
Notre cœur de village restera le même et nos atouts seront toujours ceux d’aujourd’hui : le site, la qualité de son air, sa superbe orientation et sa pente.